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INTERVIEW DE WES CRAVEN



  • Le préambule de Scream 2 fait penser à William Castle [Scénariste de "La Dame de Shanghaï" et producteur de "Rosemary's Baby", il est surtout réputé comme réalisateur de films d'horreur et a inspiré le personnage joué par John Goodman dans "Panic sur Florida Beach", de Joe Dante, 92]. Il utilisait beaucoup de gimmicks, comme cette façon de faire des films dans le film...

    Ce n'était pas dans le script, mais je l'ai fait en hommage à William Castle. Il inventait des trucs invraisemblables comme de faire passer du courant électrique dans certains sièges pour faire sursauter les spectateurs. D'autres fois, pour suggérer que le contenu du film était très fort, il garait des ambulances à la sortie de la salle pour évacuer les spectateurs "évanouis". Je voulais retrouver cet esprit ludique qui s'est un peu perdu.

  • Son autobiographie s'intitule I'm Gonna Scare the Pants off America (je vais terrifier l'Amérique). Vous vous reconnaissez dans cette affirmation ?

    Quand on me dit que je suis au sommet de la chaîne alimentaire du cinéma d'horreur, je le prends comme un compliment, même si je n'ai jamais été satisfait de cette étiquette. Heureusement, je suis en train d'en sortir. J'ai signé un contrat de trois films avec Miramax où il est stipulé que je ferai un film en dehors du genre. Je vais commencer par là en réalisant un drame dont la préproduction démarre cet été. Il raconte l'histoire d'une femme [interprétée par Madonna] qui enseigne le violon à une classe d'Harlem. C'est un projet très important pour moi. J'ai également terminé le premier jet de mon premier roman, un thriller de science-fiction. J'ai enfin l'impression de ne pas être limité à un seul registre. ça m'amuse beaucoup de faire des films d'horreur, mais j'ai d'autres cordes à mon arc.

  • Vous en avez terminé avec le fantastique ?

    Pas complétement. J'espère faire Scream 3 en 99. Après, on verra. A moins de tomber sur quelque chose de vraiment spécial, je ne vois pas très bien ce que je pourrais dire de plus.

  • On a pu lire que le genre s'est fortement développé pendant la période où Reagan et Bush étaient au pouvoir. Vous pensez qu'il y a une corrélation ?

    Non, mais il est possible que cette période ait provoqué une réaction de "rage contre la machine". Avant Reagan, il y a eu La nuit des masques [John Carpenter, 78], La colline a des yeux, La Nuit des morts-vivants [George A. Romero, 68]. Bien avant ça, il y a eu Frankenstein [James Whale, 31]. Je ne crois pas aux corrélations, mais il y a des cycles, avec des schémas qui se reproduisent. Malheureusement, les statistiques montrent que pour un bon film fantastique, il y a une certaine de mauvaises initiations. La nature du système permet de réaliser ce genre de films dans des conditions économiques avantageuses. ça attire beaucoup d'imitateurs qui ne sont même pas fans du genre. Ils sont motivés par la seule perspective de gagner beaucoup d'argent facilement. J'ai eu l'occasion d'assister à des réunions où on vous demande d'écrire un mélange de "Freddy rencontre Vendredi 13 avec un peu de Nuit des masques". C'est difficile de faire comprendre à ces gens-là qu'un tel film est mort dès le départ parce que c'est de la pure imitation.

  • Comment vos films fonctionnent-t-ils ?

    D'une façon inexplicable. J'essaie d'innover à chaque fois, mais pour une raison ou une autre, ils ne touchent pas tous la bonne corde. Shocker (89) ou Le Sous-sol de la peur, que j'aime pourtant beaucoup, n'ont pas décollé, et je ne comprends pas pourquoi. De temps en temps, le public adore un de mes films sans que je puisse dire pourquoi. Et le genre redémarre par la même occasion. Pendant longtemps, j'ai eu beaucoup de mal à trouver des financements pour mes films. Il m'a fallu trois ans pour Les Griffes de la nuit. On me disait : "Le genre est mort, personne ne veut voir ce genre de choses". ça veut tout simplement dire que l'intérêt pour le genre ne faiblit pas. Il est toujours là.

  • Vous vous attendiez au succès de Scream ? C'est venu

    un peu dans la foulée de Freddy sort de la nuit (93), qui avait déjà amorcé la formule, une sorte de déconstruction entre la scène et les acteurs. Sauf que Kevin Williamson [le scénariste de "Scream"] a procédé différemment : au lieu de mettre au coeur de l'action les réalisateurs et de les faire regarder dix ans en arrière - ce qui est un truc adulte -, il a déplacé l'action du côté du public. Certains personnages, avec leur langage et leur comportement, sont des caricatures du public du cinéma d'horreur. C'est pourquoi Scream a eu ce succès populaire.

  • On a l'impression qu'il a été calibré pour plaire à des publics très divers, notamment ceux qui ne connaissent pas le cinéma d'horreur ou ceux qui ne l'aiment pas.

    J'ai toujours trouvé très frustant de ne pas toucher ce public-là. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai voulu m'éloigner du genre. Beaucoup de gens me disent qu'ils n'iraient jamais voir un film d'horreur. S'ils consentaient seulement à en voir un, ils y trouveraient probablement un intérêt. A la première vision de Scream, les gens sont intrigués et amusés. Il est possible qu'ils soient toujours dégoûté par la violence, qui représente au plus quinze minutes du film. Mais ils aiment l'humour et l'interprétation. Pour moi, ça a toujours été comme un Graal de franchir une étape et d'atteindre un public plus large. Avec Scream, j'y suis parvenu en partie grâce à un script très malin et à des acteurs qui sont connus par la télé. Courteney Cox est très populaire. Pour la première fois, il m'est arrivé d'entrer dans un cinéma pour présenter mon film et de ne pas être le centre de l'attention.

  • Il y a une ambiguïté dans l'humour de Scream qui se retourne contre le public. N'y a-t-il pas un danger à trop utiliser l'ironie ? Pensez-vous la contrôler ?

    J'essaie. De toute façon, il y a des règles à respecter : vous n'avez pas intérêt à être trop ironique, vous n'avez pas intérêt à être trop malin, vous ne devez pas faire trop de vannes autoréférentielles ou de clins d'oeil. Il faut éviter que le réalisateur ou le scénariste apparaissent trop souvent... Parfois, vous pensez que le public rit au moment où il ne devrait pas. Par exemple, au début de Scream 2, vous voyez les spectateurs hurler de bonheur à un moment où quelqu'un se fait massacrer à l'intérieur même de leur propre cercle. A ce moment-là, ça devient horrible. Tout à coup, c'est comme une sonnerie de réveil qui dit : "Attention à la signification de ce que vous voyez."

  • D'où vous vient cette façon de commenter ce que vous montrez à l'intérieur même du fillm ?

    Il y en avait des traces dès Shocker, où les personnages rentraient dans l'image, dans la télévision ; en rendait compte dans une sorte d'intertexte. Cette façon de faire a pris sa forme la plus développée dans Scream. L'héroïne a fait une expérience tragique et, avant d'avoir pu l'assimiler, cette partie de sa vie lui est renvoyée à plein volume par une multiplicité de sources déformantes. C'est typique de notre époque : on est soumis à une telle quantité d'informations qu'on n'a plus le temps de les digérer et, parfois, elles vous reviennent en pleine figure. Ceux qui contrôlent l'information connaissent très bien ce mécanisme et l'exploitent. Vous n'avez jamais vraiment le temps de comprendre ce qui s'est réellement passé, mais on vous sert ce qui est considéré comme la meilleure version des faits. Pour Scream 2, le concept même de la suite est une réflexion sur la réitération. Le tueur, qui étudie le cinéma, s'emploie à mettre en scène une suite située dans la réalité.

  • ça ne vous a pas gêné dans le premier Scream quand les deux tueurs disent que regarder des films d'horreur ne les incite pas à tuer mais les rend plus créatif ?

    On a été obligés de retirer cette réplique du film (au moins dans la version américaine). Kevin et moi étions tous les deux d'accord : s'il y avait le moindre soupçon que nous souscrivions à cette proposition, quelqu'un pourrait commettre un crime en se réclamant du film. Je ne crois pas que le cinéma soit incitatif, mais chez certains individus, l'impulsion est déjà là. S'ils ne le font pas d'une façon, ils le feront d'une autre. Je lisais l'autre jour un article sur un type qui a poignardé une personne dans une discothèque parce qu'elle lui avait marché sur le pied. Personne ne dit qu'il faut interdire les discothèques. Simplement, il y a des gens dans les rues qui sont prêts à passer à l'acte. Mais, en vingt-cinq ans, il n'est jamais arrivé, à une récente exception près, qu'un de mes films pousse des gens à faire ce qu'ils ont vu. Trente millions de spectateurs ont vu Scream ; si vous considérez que 1 % de la population est susceptible de passer à l'acte, alors il faudrait attribuer au film 3 000 morts ! Je ne connais pas la minuscule proportion de gens potentiellement incités, mais elle doit tomber loin derrière la probabilité d'être frappé par la foudre ou piqué par un frelon. C'est vraiment dangeureux d'être fou. ça ne veut pas dire qu'il faut passer la folie sous silence. Il n'y a pas mal à montrer la violence à condition d'en souligner les conséquences et de ne pas glorifier ceux qui l'exercent.

  • Vous avez toujours eu des problèmes avec la censure. Pour Scream 2 également ?

    Pour la première fois, non. Pour autant que je me souvienne, la seule autre fois où je n'ai presque pas été ennuyé, c'est pour L'Emprise des ténèbres, qui n'a suscité qu'une seule demande de coupe. Aucune pour Scream 2. Vous pourriez me frapper avec une plume, je serais toujours incapable de vous dire les raisons exactes pour lesquelles le film a été approuvé du premier coup. La seule chose que j'ai apprise avec l'expérience, c'est que les décisions de la censure sont arbitraires et imprévisibles. Tout dépend des personnes présentes dans la pièce au moment précis où votre film est passé en revue. Il est impossible de rencontrer ces gens ou d'avoir des informations sur eux. Apparemment, ils sont une demi-douzaine de groupes, choisis parmi des membres de l'industrie du cinéma ou parmi des représentants de parents, d'enseignants ou de personnes en rapport avec les enfants. Scream a été soumis à leur approbation sept ou huit fois, et, à force, j'ai reconstitué le processus. Le film est visionné devant une commission qui, quand elle le rejette, donne des indications précises sur les passages incriminés. Une fois "refait" selon ces indications, le film passe devant un autre groupe, différent du premier ! Vous ne pouvez pas avoir de dialogue suivi avec un même groupe. Il est donc absolument impossible de deviner ce qui va passer. C'est très éprouvant pour les nerfs. C'est le pire moment dans la fabrication d'un film. ça arrive toujours au moment où vous êtes à la bourre afin de respecter les délais de livraison. Chaque changement coûte une fortune.

  • Est-ce que ça affecte votre manière de travailler ?

    J'y pensais constamment quand je tournais Scream, surtout pour la scène de la cuisine, mais je n'ai rien changé dans ma façon de tourner. Mes producteurs me lançaient sans arrêt des regards inquiets, et je me suis dit plusieurs fois que ces séquences ne seraient jamais projetées dans un cinéma. Mais je fais toujours le film que je veux faire. Si quelqu'un d'extérieur le ruine, tant pis. Au moins, il aura existé tel que je l'ai voulu. Parfois, la censure incite à louvoyer. Chacun a sa technique. Certains tournent délibérément des séqences extrêmement violentes qu'ils n'ont même pas l'intention d'utiliser. Comme ça, après avoir entendu les hurlements des censeurs, ils coupent le film tel qu'ils l'avaient conçu et, parfois, ça passe.

  • Est-ce qu'il y a des scènes qui vous rendaient nerveux dans Scream 2 ?

    Oui, la première scène, à cause de son intensité. Parce que les censeurs vous font penser comme ça, malgré vous. Ils ont un barème d'intensité. Par exemple, ils vous disent : "Le niveau d'intensité est trop fort entre la huitième et la quinzième minute. Baissez un peu la musique, retirez quelques effets spéciaux, nous pensons que c'est un peu trop intense. C'est comme si on demandait à un pilote de course de brider le moteur de sa voiture.

  • Au cours de la projection, certains spectateurs riaient pendant les passages horribles;

    C'est probablement ce qu'on appelle du rire de défense. Chacun réagit à sa manière, certains se protègent en riant. ça ne veut pas dire que ces personnes sont moins horrifiées que les autres.

    Première n°257-Interview de Gérard Delorme